J’ai connu bon nombre de dirigeants dans les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé. J’ai souvent été inspiré par leur leadership, leur engagement ou leur charisme. J’ai aussi oublié les autres, sauf un. Un jour, le directeur général du groupe qui m’employait, a écrit à tous les salariés pour lancer une transformation stratégique. J’ai toujours le mail.
Il y disait : « Le processus n’est pas une représentation de la vie réelle, le processus est la vie réelle ! »
Quelle injonction pathétique ! Comment méconnaître à ce point la nature humaine et le fonctionnement d’une entreprise que d’écrire une chose pareille ! C’est aussi un bon indicateur de la qualité de l’entourage du dirigeant quand personne n’ose s’élever contre pareille affirmation.
Wikipedia définit une organisation comme « un groupe social formé d’individus en interaction, ayant un but collectif, mais dont les préférences, les informations, les intérêts et les connaissances peuvent diverger » et un processus comme « un ensemble d’activités contribuant aux objectifs d’une organisation ».
Au risque de vous décevoir, j’affirme que vous ne changerez jamais l’organisation de votre entreprise en changeant simplement les processus ou l’organigramme. Pourquoi ? Parce que personne ne suit les processus tels qu’ils sont écrits. Les grèves du zèle nous le rappellent régulièrement. Une grève du zèle c’est juste travailler en respectant le processus à la lettre. Tout se bloque, rien ne se passe. De plus, un processus ne décrit que la partie des activités contributives aux objectifs d’un processus mais en aucun cas les individus à l’origine de ces actions, dans leur complexité, leurs contraintes, leurs envies. Cela ne décrit pas non plus les injonctions contradictoires « Consacre toi à ce processus ! Mais aussi à celui-là ! » donnant aux individus qui les reçoivent la liberté de choisir ce qu’ils veulent faire. Sont absentes du schéma les contremesures mises en œuvre par les acteurs d’un process comme par exemple, ralentir la cadence quand ils la trouvent trop forte.
L’organigramme, lui, méconnait le fonctionnement réel, les experts, les leaders d’opinion sans lesquels aucune transformation n’est possible. Qui n’a jamais appelé à l’aide non pas celui, dont c’est la fonction, et qui tient le poste comme un chien sa niche, mais celui qui l’a tenu dans le passé, avec qui vous avez gardé des affinités et qui sera ravi de vous aider.
Cela est vrai dans toutes les organisations, de la toute petite à la plus grosse. Il y a toujours quelqu’un vers lequel les gens se tournent quand ils sont aux limites de leur connaissance ou de leur autonomie. C’est très rarement la personne la plus importante de l’organigramme, leur chef, parce que demander de l’aide c’est avouer ses faiblesses et ce n’est pas quelque chose qu’on aime partager avec la personne chargée de vous évaluer.
Alors comment fait-on? Avant de modifier les processus il faut s’intéresser aux gens dans leur mode de fonctionnement actuel. Comment ils travaillent, quels sont leurs échanges ? Il faut identifier les solidarités et les inimitiés et comme le souligne François Dupuy dans tous ses livres, le système de contraintes dans lequel ils évoluent. Il faut demander leur avis et entendre leurs objections. Non pour y répondre mais pour en comprendre les raisons. Ce n’est qu’en ayant traité ces causes racines et changé le système de contraintes que les gens bougeront réellement.
C’est moins rapide que de publier un nouvel organigramme mais diablement plus efficace.