TEMANAO

Le cas de l’homme qui roule en diesel et qui fait du bœuf au barbecue le week-end.

C’est après avoir déjeuné d’un cari d’aubergines, totalement végétarien et préparé par mes soins, qu’il m’est venu l’idée de m’attaquer à la star de l’été, j’ai nommé l’individu de sexe masculin qui travaille en ville et vit en périphérie d’une métropole, qui utilise une voiture diesel pour ses trajets quotidiens et qui, avec ses amis le dimanche, ne dédaigne pas partager une bière en jetant un regard attendri sur une pièce de bœuf, grillant doucement sur son barbecue à charbon de bois.

Je ne vais pas aborder le sujet sous un angle politique, climatique ou culinaire. D’autres s’en sont chargés avant moi. Je vais considérer l’aspect de la conduite du changement, autrement dit

« Comment influer efficacement et durablement sur son mode vie ?« 

Tout d’abord, on sait depuis des années que le blâmer est contreproductif. Des travaux d’Anna Freud jusqu’aux études récentes de neuropsychologie*, les expérimentations montrent que, se sentant jugé pour son comportement, l’individu va se sentir agressé et mettre en place des mécanismes de défense. Soit en zappant la critique comme les fumeurs dont le cerveau filtre les messages de prévention qu’ils voient sur les paquets de cigarettes, soit en contre attaquant et en revendiquant ses modes de consommation, soit en transférant la responsabilité de ses actes sur autrui, la société, les pouvoirs publics…

Si on veut changer durablement le comportement de cet individu il va falloir passer d’une motivation extrinsèque, ici éviter le blâme, à une motivation intrinsèque, éprouver un plaisir personnel dans le nouveau mode de fonctionnement et s’accomplir en temps que personne humaine. Pour cela il faut étudier le système de contraintes dans lequel cette personne évolue.  Les contraintes extérieures qui le poussent rationnellement à agir comme il le fait, les contraintes intérieures qui l’obligent à se conformer à ses valeurs.

Posons le premier comportement :

Cette personne utilise quotidiennement une voiture à moteur diesel, alors que le prix de l’énergie augmente et pèse fortement sur son budget.

Identifions les raisons derrière ce qui peut apparaitre comme un choix irrationnel :  

Si on s’intéresse aux causes racines de on comportement, on va trouver des raisons extérieures :

  • Parce que les villages excentrés ont préféré créer des lotissements attractifs plutôt que de mourir,
  • Parce que son banquier lui a fait une offre de prêt sans tenir compte de l’impact du gazole sur son budget total.

Et aussi un besoin très fort de se conformer à des normes sociales en achetant son logement :

  • Depuis qu’il est enfant, ses parents lui ont dit « Si tu es propriétaire de ton logement, tu auras toujours un toit même en cas de coup dur ! »
  • Le candidat à la présidentielle de 2007 et futur président élu avait proclamé** « Mon ambition serait de faire de la France, un pays de propriétaires ». Cette ambition était partagée de l’autre côté de l’atlantique ou Bill Clinton dans une allocution de 1998 disait « La propriété résidentielle a toujours été le fondement du rêve américain ». Son successeur G.W. Bush présentait la propriété résidentielle comme « un ancrage pour les familles ». Cette obsession de la propriété pour tous conduira à dérèglementer l’accès au crédit hypothécaire avec comme conséquence la crise des surprimes et l’effondrement de l’économie mondiale.
  • Comme notre sujet d’étude, plus de 70% des Français et parmi eux 78% des locataires de logements collectifs, plébiscitent l’habitat individuel. Le principal argument état le jardin avec comme corollaire, la balançoire des enfants et le barbecue.

On pourrait trouver plein d’autres causes mais je doute qu’on trouve quelque chose qui résulte d’un choix qui soit totalement volontaire et qui ne soit le fruit d’un conditionnement social ou la conséquence de contraintes extérieures sur lesquelles il n’a que peu de prises.

Cela veut dire que si on veut faire évoluer le comportement de cet individu, il va falloir s’attaquer à ce champ de contraintes.  Ce n’est qu’ensuite que l’on pourra mettre en place une motivation intrinsèque. On ne peut parler du temps retrouvé pour lire ou regarder une vidéo dans un train régional électrique que si ce train existe.

Il faudra créer des transports collectifs compatibles avec ses horaires de travail, assujettir l’autorisation de nouveaux lotissements à l’existence de modes de transport doux, revaloriser l’offre de logements collectifs mais aussi rendre accessible des modes d’épargne long terme qui présentent un profil de risque équivalent à l’immobilier et qui soient socialement acceptables. Il faut penser un monde nouveau, le proposer à la nation et le mettre en œuvre, autrement dit il faut faire de la politique.

Plus rapidement, si on revient au barbecue et qu’on s’intéresse au deuxième comportement :

Il fait cuire du bœuf au barbecue le dimanche

  • Il en mange depuis qu’il est petit et il trouve ça bon,
  • Il n’arrive pas à faire le lien entre le steak de bœuf et la couche d’ozone,
  • Il mange aussi des chipolatas et des merguez mais s’il veut marquer le coup il prend  une entrecôte de bœuf parce que c’est plus cher,
  • Parce que le barbecue c’est festif dans son milieu social et que l’offre alternative, théâtre, cinéma, musée est limitée là où il réside.
  • Et principalement parce qu’il ne sait pas cuisiner et que le barbecue est sa seule contribution possible à la préparation d’un repas dominical, surtout s’il a invité des copains et que sa femme ne veut pas passer la matinée en cuisine.

Il en faut pas non plus sous estimer le poids de la norme sociale. Imaginez le coup de téléphone: « Venez à la maison dimanche, j’ai acheté des carottes, on les râpera ensemble! » 

Néanmoins, pour le barbecue, certaines solutions sont peut-être davantage accessibles que sur la voiture, comme par exemple, apprendre à cuisiner aux garçons petits et grands. A quand une émission de Cyril Lignac « J’épate ma copine en lui faisant un super repas végétarien ! » ?

Pour apporter ma pierre à l’édifice je vous mets un lien sur une recette de cari d’aubergine.  

 http://monilemapassion.com/2008/01/29/cari-dbringelle/

Elle est plutôt pas mal, même si je préfère garder l’aubergine en gros cubes pour « garder de la mâche ». 

A vos couteaux!

Les références :

Nouvelles approches de la prévention en santé publique Chapitre 3.2 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/104000139.pdf

**https://www.liberation.fr/cahier-special/2007/05/03/sarkozy-royal-le-debat-12_92063/