C’est ainsi que j’ai été accueilli par un membre de ma nouvelle équipe suédoise, lors de ma prise de fonction. Les regards échangés et les sourires m’ont fait comprendre que l’émissaire avait été désignée pour son courage mais qu’elle représentait le sentiment général.
Le moins que je puisse dire c’est que l’atmosphère était différente la semaine précédente au Brésil. Là-bas, la réunion avait été soigneusement préparée par mes managers locaux avec des présentations des projets en cours, les réussites de l’équipe sur l’année précédente, des interventions d’autres équipes soulignant l’excellente collaboration entre directions sur le site. Chacun s’était présenté personnellement à grand renfort de photos d’enfants et de hobbies, et la journée s’était terminée par un échange informel autour d’un verre.
Quand on travaille dans une entreprise internationale, on peut penser que les différences culturelles s’effacent au profit d’une culture globale d’entreprise. C’est d’ailleurs ce que les directions générales et les ressources humaines tiennent pour acquis. Tout le monde communique en anglais, utilise les mêmes logiciels dans les mêmes processus. Les objectifs sont communs et les évaluations sont réalisées dans les mêmes outils. La mission et les valeurs d’entreprise sont affichées dans les mêmes couleurs sur les mêmes visuels que vous soyez au Japon ou en France. Et pourtant.
Je me souviens d’une collègue indienne apostrophant un haut dirigeant de la société, dans une assemblée réunissant l’ensemble des salariés et lui demandant ce que le groupe comptait faire pour réparer l’adduction d’eau de son village, ou aux Etats-Unis, de réunions commençant par une prière, évènements pouvant surprendre le manager français que je suis.
Geert Hofstede a, le premier, mesuré les différences culturelles d’un grand nombre de pays suivant cinq dimensions : la relation à la hiérarchie, la vision long terme / court terme, la gestion de l’incertitude, l’individualisme, la masculinité vs la féminité des organisations. Ma collègue suédoise était sans aucun doute peu sensible à la distance hiérarchique. Ma collègue indienne englobait sa communauté tout entière dans sa relation avec l’entreprise.
Geert Hofstede et Fons Trompenaars après lui ont développé des modèles sur un plan sociologique mais à ma connaissance seul Bernard Nadoulek a tenté une explication civilisationnelle et c’est avec tristesse que j’ai appris son récent décès.
Je me souviens de son enseignement, il y a presque trente ans maintenant. Schneider Electric préparait à l’expatriation quelques jeunes cadres par une initiation à la communication interculturelle. Nous étions tous presque trentenaires, en uniforme, costume sombre, cravate et attaché case, conscients de notre importance. Il nous reçut en santiags, blouson de cuir noir et T-shirt blanc. On attendait un disciple de Trompenaars ou d’Hofstede avec un modèle, des « do and don’t », ou comment interagir avec un Chinois, un Japonais ou un Indien. Au lieu de cela il nous a parlé de son expérience de guitariste de studio à Los Angeles et de professeur de karaté au Japon. Il a expliqué comment les différentes cultures, les civilisations, les religions, avaient été structurées par les grands mythes fondateurs. Par exemple comment le combat des dieux et des géants des mythologies nordiques, se terminant par la mort des Dieux et la fin du monde, avait inspiré le concept de guerre totale des vikings, la relation à Dieu des protestants germaniques et aussi la conception des affaires des anglo-saxons. En quoi, en France, le catholicisme modèle toujours notre manière de penser et de réagir. Que la confession et le rachat des péchés véniels influe sur la manière dont on appréhende le code de la route, le mensonge à ses enfants ou à son conjoint. Alors que dans une culture luthérienne, Dieu voit tout et est comptable de tout. Il a pris des exemples très simples comme « doit-on attendre que le petit bonhomme passe au vert pour traverser la rue s’il est deux heures du matin et qu’il n’y a aucune voiture à l’horizon ? » ou « Peut-on faire confiance à un homme politique qui trompe sa femme ? ». Il nous a aussi montré comment le confucianisme guide toujours le comportement des Chinois dans les affaires, respect des anciens et de la hiérarchie mais aussi acceptation de la copie, vue comme un apprentissage et un transfert de compétence.
Il nous a raconté comment les moines bouddhistes régulent leurs conflits, en rajoutant davantage de monde dans la discussion pour forcer les protagonistes à dépasser leur Ego et à factualiser le débat. J’ai personnellement participé à une discussion technico-économique avec un partenaire taïwanais qui avait pour objectif de déterminer le contenu et le prix d’une carte électronique. Nous commençâmes à quatre, deux français, un acheteur, un ingénieur et deux chinois, un commercial et un manager de R&D. Au bout de quatre heures nous étions trente. Chaque spécialiste, chaque développeur avait été invité à poser des questions, donner son avis et participer au chiffrage. Il nous avait fallu recommencer les explications à chaque fois que quelqu’un rentrait dans la salle. Ce qui pouvait passer pour un exercice inefficace s’était terminé par un design, une allocation des ressources, un prix et un délai.
Mais, plus que tout, Bernard Nadoulek nous a fait toucher du doigt que ce que nous prenions pour de l’universalisme de la culture managériale était avant tout de l’ethnocentrisme, et que des choses aussi simples et évidentes pour nous que la pensée cartésienne, la manière de réfléchir en posant une question et en y répondant en trois points, thèse antithèse synthèse, était juste un marqueur culturel français et qu’il y avait autant de manières de penser qu’il y avait de culture.
Je vous encourage à lire son livre « L’épopée des civilisations » qui reste une référence pour qui s’intéresse à l’interculturel.
Bien évidement je serai ravi de vous aider si vous rencontrez des difficultés de compréhension mutuelle avec un de vos partenaires ou filiale à l’étranger.