Ça commence par une interrogation. « J’ai construit ma stratégie mais je ne sais pas si c’est la bonne. Ou plus directement « C’est quoi une bonne stratégie ? » A question directe réponse simple : «Une bonne stratégie c’est une stratégie qui marche ». Le seul souci c’est qu’on ne le sait qu’après.
On peut néanmoins poser quelques éléments :
Dans le monde des affaires, l’objectif est souvent de battre les concurrents. Dans la culture anglo-saxonne et plus généralement dans le monde protestant, la réussite dans les affaires et la victoire sur les concurrents sont des marques de la grâce divine. C’est pour ça que les outils classiques de la stratégie, tous issus du même creuset, partent du même objectif implicite : écraser la concurrence.
Rien ne vous oblige cependant à appliquer les principes énoncés par Carl Von Clausewitz dans « De la Guerre ». Vous avez parfaitement le droit d’avoir un autre objectif moins martial comme par exemple, recentrer l’entreprise sur une partie d’un marché, créer un écosystème vertueux et collaboratif, donner davantage de temps personnel aux salariés pour stimuler leur créativité.
Mauro Colagreco, que nous avons vu dans un précédent article, voulait retrouver l’énergie qu’il transmettait à ses équipes en faisant une cuisine qui lui ressemblait davantage. Mais comme toujours il va falloir expliciter votre objectif, surtout s’il est contre-intuitif pour les gens qui devront mettre en œuvre la stratégie. « Redevenir petit » quand on a couru après la croissance peut être un objectif totalement légitime, mais il va falloir expliquer le cheminement qui vous amené à changer de voie.
C’est vrai mais cela suppose un certain nombre de conditions. La principale est que le marché soit tiré par l’offre, autrement dit que le marché puisse être considéré comme infini à l’échelle de l’entreprise. Il faut aussi que l’offre ne se démode pas et qu’il ne soit pas obligatoire d’investir significativement pour rester compétitif.
Par exemple, j’attends plein d’espoir que la femme de ménage de mes voisins m’accepte dans sa clientèle. Elle est sérieuse et efficace et le bouche à oreille suffit à remplir son emploi du temps. Dans le monde des affaires on dirait qu’elle a un bon produit. Elle fixe ses prix et choisit ses clients. Le seul risque pour elle serait de ne pas maximiser la performance potentielle de son entreprise dans son marché en n’ayant pas le prix le plus élevé acceptable, ou de ne pas voir arriver un nouvel entrant. A l’échelle du pâté de maison, le marché est infini et donc le risque de se faire sortir est nul.
On peut aussi décider d’être opportuniste et sans avoir une stratégie très élaborée, acheter des biens non préalablement identifiés mais en dessous de leur prix de marché pour les revendre avec un bénéfice. Les investisseurs « value » ou les marchands de biens appliquent ce principe, qui demande néanmoins d’avoir mis en place des capacités financières pour acheter avant de vendre, et d’avoir le flair pour estimer si c’est une bonne affaire et enfin d’assumer le risque si le bien ne se revend pas au prix espéré.
C’est d’ailleurs ce qui la différencie des objectifs court terme. La rupture est indispensable pour gagner de la performance relative si on la compare à celle du scénario qui consisterait à continuer comme avant. Le temps long, de trois à cinq ans, correspond au temps nécessaire pour valider l’intérêt d’un investissement. Trois ans peuvent paraitre une éternité dans un monde où tout semble changer en moins de six mois. C’est oublier que même dans un monde VUCA, les disruptions sont lentes et le résultat incertain. Les VTC sont apparus en 2009 mais n’ont pas remplacé les taxis. Internet, télévision et radio cohabitent et si l’impression 3D semblait annoncer la disparition de l’usinage, force est de constater que c’est une mort lente.
Que ce soient les outils de décision, matrices d’ADL du BCG ou de McKinsey, d’analyse de la concurrence avec les forces de Porter ou le Pestel et le SWOT, tous suggèrent que vous avez des concurrents identifiés, dans un marché à la fois fini mais global. Vous pouvez évaluer les forces relatives et les tendances du marché. Les disruptions potentielles apparaissent clairement et vous pouvez vous positionner. Pour les PME le problème ne se pose pas en ces termes.
Prenons l’exemple de mon boulanger. Il fait un très bon pain au prix du marché et son entreprise est florissante. Ses concurrents sont à plus de 500 mètres et sa zone de chalandise est suffisante pour assurer son équilibre financier. Mais s’il veut augmenter sa performance,
Le blé et l’électricité flambent. Doit-il rogner sur ses marges ou augmenter ses prix ?
Toutes ces questions sont stratégiques, les réponses ne vont pas être dans le Pestel mais dans l’analyse fine des scénarios et leur comparaison entre eux. Ce qui nous rapproche de la réponse à la question initiale.
Les critères peuvent varier et vont dépendre de chacune des situations, horizon temporel, capitaux engagés, niveau de risque, tous ces éléments du choix sont propres à l’entreprise ou l’organisation considérée. Tous peuvent résumés en un seul critère : ce qui vous correspond le mieux. Vous devez avoir choisi votre stratégie en fonction de ce que vous connaissez de votre entreprise et vous devez l’aimer pour être confortable avec, pour en parler avec conviction à vos salariés ou à votre banquier, pour la mettre en œuvre au travers de votre plan d’action.
Avant Edgar Faure, Camille Desmoulins a dit « Ce n’est pas la girouette qui tourne c’est le vent. ». Cela ne l’a pas empêché de finir sur la guillotine. Car il faut non seulement savoir changer de stratégie mais aussi savoir quand le faire et donc réfléchir avant à ce qui pourrait vous faire changer de stratégie.
En résumé faire une bonne stratégie c’est réfléchir, se préparer et avoir un plan. Mais c’est aussi savoir s’adapter si les conditions évoluent et donc avoir prévu des backups.