MIRAZUR
L'histoire d'une transformation
Je viens de regarder l’excellent documentaire « Reinventing Mirazur, des étoiles à la lune » de Vérane Frediani et Franck Ribiere sur la transformation du restaurant Mirazur par son chef Mauro Colagreco durant la pandémie de Covid 19.
Je vous invite à le voir comme une master class de transformation stratégique.
Pour le monde entier l’épidémie a été un marqueur. Il y a un avant et un après. Pour ceux dont le métier était associé à la convivialité et au partage, l’après était forcément différent. La majorité des acteurs a essayé de reprendre une vie normale, la plupart se sont battus pour retrouver du personnel. Certains ont repeint leur salle ou changé le mobilier, mais très peu sont allés aussi loin dans la transformation que monsieur Mauro Colagreco.
L’histoire de cette transformation commence alors que l’entreprise au sommet.
La nécessité du changement
On est fin 2019, le Mirazur vient d’être élu meilleur restaurant du monde par le magazine Restaurant. Il a reçu sa troisième étoile au guide Michelin. Le chef est au top de son art et réclamé par la planète des gastronomes. En mars 2020, tout s’arrête. Les restaurants français sont fermés pour une période indéterminée. La période de sidération commence avec la peur de ne jamais rouvrir, puis une fois les conditions de survie établies grâce aux aides de l’état, l’attente s’installe et avec elles la réflexion sur les moteurs et les valeurs.
La recherche de sens
L’attente provoque un sentiment dépressif et le chef a maintenant le pressentiment qu’il n’aura pas l’énergie nécessaire pour continuer à manager son équipe comme avant le Covid. En même temps, les mois passés dans le jardin lui permettent de s’interroger sur ses valeurs et sur le sens qu’il trouve à son action, la famille restée en Argentine et qu’il ne peut voir à cause des restrictions de voyage, la terre et le cycle des saisons. Il se rapproche des principes ancestraux des jardiniers incluant les cycles lunaires dans leurs décisions de semer, récolter ou tailler et fait l’apprentissage de la biodynamie dans sa pratique de jardinier. Une fois identifiées ses bases, la terre, la lune, la transmission, il va pouvoir être aligné et générer l’énergie dont l’équipe a besoin. Il teste l’idée auprès de ses proches, son épouse, sa sœur, son associé, Michael Likierman. Et puis il se lance, face à ses équipiers. Il leur explique le sens, la direction, et leur demande leur accord.
Cette phase est remarquable car elle conduit le chef à se défaire du moteur principal, son ambition, sa volonté de réussir et d’être reconnu par ses pairs et par ses proches pour rechercher quelque chose de plus intime mais aussi de plus universel, sa relation au monde qui l’entoure.
La coconstruction
On est loin de la démarche traditionnelle d’un plan d’action stratégique. Ici, pas d’analyse marketing. On ne met pas « le client et sa satisfaction » au centre de la stratégie. Quand on se trouve tout en haut de l’échelle, le risque de descendre et de décevoir est majeur. Le restaurant est célèbre, les clients viennent pour goûter des plats signatures, ceux dont la presse parle. Il eût été rassurant de continuer dans cette direction et de proposer la même chose, en mieux. C’est ce que font nombre de ses confrères chez qui vous pouvez déguster le plat qui les a rendus célèbres il y a trente ans, identique et parfaitement exécuté. On aurait pu aussi imaginer que dans un souci de maîtriser le concept et la mise en œuvre de la transformation, une équipe restreinte élabore les nouvelles recettes dans un laboratoire et distribue les grammages et les instructions aux différentes parties.
Là, on déchire la carte, et on part d’une feuille blanche. D’ailleurs il n’y a plus de carte mais des menus qui vont changer au fil des saisons, au gré des cycles lunaires. C’est l’équipe qui coconstruit les plats sur la table de dressage autour du chef et de sa cheffe de cuisine, Florencia Montes, solaire. Chacun goûte et donc apprend, le chef se questionne, devient une ressource au service de l’équipe. Il demande même des conseils de cuisson des champignons au cueilleur qui livre le restaurant. Le chef aussi apprend.
L’empowerment et l’exécution
Le jour de la réouverture, le chef réunit l’ensemble de l’équipe, rappelle le chemin parcouru et exprime sa fierté et laisse transparaître son émotion. Chacun sait ce qu’il a à faire et pourquoi il le fait.
Des aléas surgissent, des opportunités apparaissent mais l’équipe les intègre très naturellement car elle a été préparée à les accueillir.
L’exécution est millimétrée, rythmée par les remontées d’informations du terrain et le ressenti des premiers clients. Le niveau d’exigence du chef est à la hauteur de ce qu’on attend d’un trois étoiles. La soirée se termine par le nettoyage de la cuisine et la préparation de la journée suivante. L’exceptionnel est devenu le nouveau normal.
La célébration
Elle a lieu dans le jardin, en présence des anciens chefs de cuisine, qui bien qu’ayant quitté le restaurant, sont intégrés à l’histoire. Le chef prépare des pizzas, quoi de plus simple pour un chef argentin étoilé.
C’est un moment de partage, sans grands discours, juste le plaisir d’être ensemble et la fierté d’avoir fait quelque chose de grand.