Objectif Zéro-sale-con de Robert SUTTON
Je viens de finir la lecture du livre « The No Asshole Rule » de Robert Sutton, en français « Objectif : Zéro-sale-con ». L’auteur identifie les caractéristiques qui font d’un sale con un connard certifié. En montrant les effets néfastes sur les victimes, subordonnés, clients, partenaires mais aussi sur les organisations infectées et paradoxalement sur les connards eux-mêmes, le livre fait un constat glaçant du coût total de ces individus pour la société. Plus dérangeant, Robert Sutton explique comment certains sales cons sont vus comme de grands leaders par la confusion que nous faisons entre l’autoritarisme et le leadership. Robert Sutton affirme que les sales cons qui réussissent le font en dépit de leur caractère mais non grâce à leur comportement.
Le livre a été écrit en 2007 et les exemples cités sont américains et datent de cette période. Steve Jobs a droit à un chapitre entier. Si le livre était écrit aujourd’hui, il est à peu près certain qu’un fabricant bien connu de voitures électriques trônerait en lieu et place du fondateur de la marque à la pomme, générant les mêmes sentiments contradictoires d’adoration pour le génie visionnaire et de répulsion pour le manager odieux.
J’ai passé plus de vingt ans dans le monde automobile.
J’ai vu la transformation des modèles de management, de l’autocrate imbuvable vers des leaders plus inclusifs. J’ai surtout été témoin de la plus grande destruction de valeur de l’histoire industrielle due à un management toxique, ou comment le comportement d’un seul dirigeant d’une seule entreprise a détruit une industrie toute entière : Le «dieselgate» de 2015,
dont on sait maintenant que la cause racine était le management par la terreur du dirigeant. Toute l’industrie éprouvait des difficultés à concilier prix des solutions technologiques, baisse de la consommation et dépollution et a dû faire des compromis en augmentant le coût et la consommation pour garantir la dépollution. Mais des ingénieurs en charge du développement de Volkswagen ont préféré tricher que d’admettre leurs difficultés à tenir des objectifs irréalisables et affronter la colère de leur chef. Que des ingénieurs de talent n’aient vu comme seule solution de survie que de jeter aux orties l’honneur et la respectabilité de toute une vie en dit long sur les pressions quotidiennes et l’état de soumission dans lequel ils évoluaient.
Les conséquences de ce management toxique n’ont pas été circonscrites à l’équipe ou au manager, ni même à la marque responsable. La crise a durablement affecté l’industrie automobile européenne tout entière, en détruisant la confiance des consommateurs et des politiques et en rendant impossible un retour à la normale. Cela a signé l’arrêt de mort des moteurs thermiques.
On peut dire que si demain, nous roulons tous dans des voitures électriques conçues autour de batteries chinoises, sans qu’on en ait réellement étudié l’impact sur l’environnement et le climat, on le devra au style de management des dirigeants de VAG d’avant la crise de 2015.
La lecture de ce livre a également eu une résonnance particulière pour moi : il y a longtemps, j’ai été victime d’un connard certifié.
Pendant les mois où il a été mon supérieur hiérarchique, il n’a cessé de chercher à me dévaloriser, à m’humilier devant mes collaborateurs. J’ai subi ses colères, ses ordres contradictoires, ses menaces. J’ai expérimenté les dégâts sur ma santé, sur ma relation aux autres, sur ma famille. Je me souviens qu’au sortir de la signature de l’accord de rupture conventionnelle avec le DRH mettant fin à mon engagement dans la société, il m’avait poursuivi dans les couloirs pour me hurler sa haine, insensible à la présence de témoins et sûr de sa toute-puissance.
Je me suis reconstruit, avec un coach qui m’a aidé à identifier les signes précurseurs d’un management toxique et à m’en protéger, et avec l’aide de managers et de collaborateurs bienveillants au contact desquels je me suis développé. Pour en avoir parlé avec certaines d’entre elles, je sais que mon tourmenteur a fait d’autres victimes, je sais aussi qu’il s’est amendé.
Après cette aventure, j’ai poursuivi mon chemin, j’ai saisi des opportunités, j’ai travaillé dur et j’ai eu une carrière épanouissante, indéniablement plus riche que si j’étais resté au poste où j’étais alors. Dans mon cas l’histoire se finit bien, même si de temps en temps la cicatrice redevient douloureuse.
Je suis sorti de cet épisode plus fort avec la certitude que la fuite, dans mon cas imposée, est la seule solution intelligente et rationnelle face à un management toxique. Je sais aussi qu’il faut choisir avec autant de soin son chef ou ses clients qu’on choisit ses collaborateurs. Une promotion peut être rapidement destructrice si elle vous place dans les mains d’un sale con. Quand vous recrutez, c’est pareil. Il est illusoire de se dire qu’on va réussir à gérer un sale con, aussi brillant soit-il. Son impact négatif sur le reste de l’équipe et l’énergie que vous devrez mettre à le manager sont sans aucune mesure avec l’espoir de gain que vous pourriez avoir à le garder. Ne le recrutez pas et si vous l’avez sur les bras, virez-le. L’équipe vous dira merci.
Et si vous êtes un manager puissant, veillez à ne pas devenir vous aussi un parfait connard.